Le Collège international de philosophie à la croisée des arts et du politique
Responsables scientifiques : Vanessa Brito (Beaux-Arts de Marseille), Chiara Palermo (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / CIPh), Pauline Vermeren (Villa Arson, CIPh)
À la fin des années 1980, Le Cahier du Collège international de philosophie (CIPh) ouvre un espace de rencontre entre philosophes et artistes – la rubrique « Regards sur le regard » coordonnée par le peintre Maurice Matieu et le philosophe Jean Borreil. Annoncée dans le Cahier n°5, cette rubrique intempestive vise à confronter les regards de philosophes et d’un photographe à celui d’un artiste visuel. Chaque débat avec un peintre ou un sculpteur est accompagné d’une série de photographies en noir et blanc de François Boissonnet, qui avait pour seule consigne de photographier un atelier « sans se soucier des œuvres ». Délaissant les œuvres et la figure de l’artiste, le plus souvent absent ou vu de dos, ces séries photographiques donnent à voir l’agencement d’un espace de travail où se côtoient objets, documents et outils suggérant une diversité de processus de recherche.
À partir de 1991, date de la publication du premier numéro de la revue Rue Descartes chez Albin Michel, « Regards sur le regard » donne lieu à la rubrique « Ateliers » à laquelle contribue toujours François Boissonnet. Aux ateliers de Jean Ipoustéguy et de Pierre Buraglio se succèdent ceux de Gilles Aillaud,AnselmKiefer, ValerioAdami, Daniel Buren, EduardoArroyo, Julio le Parc, Takis, Guy de Rougemont, François Rouan et – seule femme peintre – Béatrice Casadesus. S’inviter dans l’espace de l’atelier exprimait une envie partagée, formulée pour la première fois dans le Rapport bleu, texte fondateur du CIPh, de ne pas se contenter de discours philosophiques sur l’art mais de favoriser des rencontres qui engagent une parole au plus près des gestes et des processus de travail des artistes. Matieu et Borreil espéraient que les philosophes quittent leur « position de surplomb » pour discuter « dans la Cité » avec des artistes et, réciproquement, que les artistes acceptent de se confronter au langage philosophique et de se livrer à une parole publique.
Cette démarche expérimentale, basée sur une politique de l’amitié, a contribué à affirmer la singularité du CIPh, qui se voulait une contre-institution en marge de l’académie, soucieuse d’explorer les « intersections » entre les disciplines et de susciter des frictions entre divers langages et pratiques. Dans le contexte actuel, où les démarches de recherche-création et les rencontres entre artistes et chercheur·es sont au programme de la plupart des universités, écoles d’art et de design, musées et centres d’art, on peut se demander quelle place prend aujourd’hui au CIPh ce dialogue avec la création contemporaine. À quels endroits se situe le croisement de regards entre philosophes et artistes ? Autour de quelles problématiques politiques et sociétales se construit-il ? Si le rapport entre art et politique était essentiel pour Matieu et Borreil par quel biais est-il abordé dans les actuelles directions de programme ?
Le Collège international de philosophie, dont l’assemblée collégiale se renouvelle par moitié tous les trois ans, est une institution qui a une mémoire courte. En favorisant des échanges intergénérationnels, ce colloque répond à un besoin de renouer avec un héritage non transmis et à une envie de raviver l’histoire de ces rencontres entre artistes et philosophes – oubliée ou méconnue y compris de la plupart de nos directrices et directeurs de programme – de façon à susciter et encourager de nouveaux dialogues avec la création contemporaine.
Pour ce faire, il nous a semblé nécessaire de convoquer cette histoire dans sa matérialité. Nous avons souhaité mettre en espace et rendre disponibles pour la consultation des documents d’archive, des photographies, l’iconographie du Cahier du Collège international de philosophie et de la revue Rue Descartes, disposant en vis-à-vis les photographies d’atelier de François Boissonnet et les contributions d’artistes comme Thomas Hirschhorn, Silvia Maglioni et Graeme Thomson, Pauline Julier, Maria Sewcz, Philippe Bazin, Julien Debyser, Dénètem Touam Bona ou Katharina Schmidt qui ont pris en charge l’iconographie des derniers numéros de la revue.
Dans le prolongement d’une des idées fondatrices du Collège, celle de faire une place non seulement à des travaux sur les arts mais à des recherches créatrices, qui ont une capacité performative, nous avons invité l’artiste et chercheur Éric Valette à réaliser in situ un dessin mural qui gardera une trace des visages, des gestes et des mots qui auront marqué nos discussions.
Programme
Vendredi 28 novembre
9h00 : Accueil – café
9h30 : Mots d’ouverture
Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet, Barbara Zauli, presidente par intérim du CIPh, Christophe Viart, directeur de l’Institut ACTE, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Vanessa Brito, Chiara Palermo et Pauline Vermeren, responsables scientifiques
10h00-12h00 : Maurice Matieu, un peintre au CIPh
Table ronde avec Stéphane Douailler, Geneviève Fraisse, Nicole Mathieu et Patrice Vermeren
Modération : Vanessa Brito
En partant des séries Les Inutiles (1991) et Animal à deux pattes sans plume (2004-2006), nous reviendrons sur les rencontres, discussions et collaborations entre le peintre Maurice Matieu et les philosophes qui ont échangé et travaillé avec lui au Collège international de philosophie. Nous mettrons en avant la politique de l’amitié qui a animé son travail ainsi que le rapport de sa peinture au politique à travers des séries comme L’Impossibilité de peindre la guerre ou Gaza et autres banalités qui résonnent avec l’actualité.
12h00-12h30 : Discussion avec la salle
12h30-14h : pause déjeuner
14h-14h30 : Éloge de Gorgias par une Hélène. Réflexions philosophiques et artistiques autour de Voir Hélène en toute femme, conférence de Laura Moscarelli
(Direction de programme : « Défendre Hélène. Enquête sur les dispositifs de l’altérité dans la Grèce antique et sur les usages actuels de l’ancien »).
Dans Voir Hélène en toute femme, Barbara Cassin et Maurice Matieu s’intéressent à la figure d’Hélène telle que les textes et les peintures, de l’Antiquité à nos jours, la font voir, croisant « l’éternel féminin et le pouvoir du discours ». Le fil conducteur de ce beau livre est, en effet, une réflexion en paroles et en images autour du lien entre femme et langage à partir d’extraits d’œuvres de différents auteurs, d’Homère à Lacan. Il s’agira de relire et de commenter les pages consacrées à la vision de Gorgias, et d’expliquer en quoi ce grand maître de la parole se démarque des autres auteurs et enfin pourquoi son Hélène mérite une attention particulière.
14h30-15h : Discussion entre Vanessa Brito et Laura Moscarelli autour des peintures et dessins de Maurice Matieu
15h-15h15 : pause
15h15-17h15 : Les espaces et les images d’une pratique philosophique engagée : regards sur les « Ateliers »
Table ronde avec François Boissonnet, Jehanne Dautrey, Laurena Grigoletto, Sandrine Israël-Jost et Armelle Mathieu
Modération : Chiara Palermo
La rubrique « Ateliers » voit le jour en 1991 avec le premier numéro de la revue Rue Descartes publiée chez Albin Michel. Au fil des années, sont publiées les ateliers de Gilles Aillaud, Anselm Kiefer, Valerio Adami, Daniel Buren, Eduardo Arroyo, Julio le Parc, Takis, Guy de Rougemont, François Rouan et – seule femme peintre – Béatrice Casadesus. Des débats publics avec des directrices et directeurs de programme au CIPh, comme Jean Borreil, Pierre-Jean Labarrière, Christine Buci-Glucksman, Jacques Poulain, Michel Deguy, Jacques Derrida, Jean-Louis Déotte, Étienne Tassin ou Jean-François Lyotard sont transcrits et édités par Armelle Auris, puis par Dolorès Djidzek-Lyotard, accompagnés des photographies de François Boissonnet et de Jean-François Bonhomme. Que faut-il retenir de ces rencontres entre philosophes et artistes ? Quels sont les sujets mis en avant dans cette série de débats ? Quel rôle assumait la photographie dans cette confrontation de regards ?
17h15-17h45 : Discussion avec la salle
Samedi 29 novembre
9h30 : Accueil – café
9h45-10h45 : Témoigner des migrations, transformer les regards
Table ronde avec Samuel Gratacap et Michele Saporiti (Direction de programme : « Le droit des sans-droits. Le langage européen des droits de l’homme et la réalité des migrants »)
Pendant les dernières décennies, les migrations ont abandonné leur statut d’urgence et de crise : elles sont devenues une composante à part entière de notre réalité politique. Néanmoins, on a souvent l’impression que notre regard attend l’accident, l’événement exceptionnel, l’énième tragédie pour réaliser la présence d’une Humanité en migration constante. En dialogue entre photographie et philosophie, entre images et concepts, cette table ronde se propose de réfléchir à partir de la réalité des migrant·es afin de témoigner de leur condition et de questionner la portée de notre regard sur leur existence politique.
10h45-11h : discussion avec la salle
11h00-11h15 : pause
11h15-12h45 : Les entretiens en quartiers populaires : une puissance de création
Table ronde avec Philippe Bazin, Sophie Djigo, Christiane Vollaire et Pauline Vermeren (Direction de programme : « Terrains philosophiques : nouvelles approches critiques du pouvoir et des dominations »)
Pour une philosophie de terrain en quartiers populaires, la parole des habitant·es est un ferment d’expertise et de réflexion critique. Elle peut aussi, dans sa force politique, prendre forme dans un projet esthétique. Sophie Djigo en a fait la matière documentaire d’un roman. Philippe Bazin, par la photographie documentaire critique, en a tiré des portraits d’entretien. Christiane Vollaire, à partir de ces entretiens, a conçu un projet d’opéra. Trois angles d’attaque pour, selon la formule de Benjamin, politiser l’esthétique.
12h45-13h00 : discussion avec la salle
13h-14h30 : pause déjeuner
14h30-16h00 : Réparer l’histoire. Éco-logies : récits et échos du sensible
Table ronde avec Jacinto Lageira, Myriam Mihindou et Chiara Palermo (Direction de programme : « Un soi inachevé. Repenser l’histoire à partir du corps »)
Cette table ronde souhaite aborder deux aspects principaux : d’une part, la centralité de l’histoire et de ses récits pour la définition d’une nouvelle approche de l’environnement ; d’autre part, le lien entre l’esthétique, l’éthique et le politique dans ce domaine. Il s’agit de penser l’histoire non pas à partir du passé, mais par ses espaces de fiction et par ses possibilités d’avenir. Cela implique de partir d’un récit sensible capable de défaire des narrations et des savoirs acquis, et d’expérimenter de nouvelles formes de connaissance. L’art est un instrument expressif dans lequel se constituent
de nouveaux récits et se dessinent de nouvelles logiques sensibles pour penser l’histoire et son articulation à l’environnement. Ainsi, le végétal, en contexte de création décoloniale, active de nouvelles narrations à partir des archives latentes de l’environnement, où le sauvage, les « mauvaises herbes », ou « les graines » nous offrent des sources d’inspiration pour repenser de nouveaux périmètres géographiques et de nouveaux imaginaires dans une dimension anthropologique et existentielle.
16h00-16h15 : discussion avec la salle
16h15-16h30 : pause
16h30-17h45 : Dialogue autour de Simone Weil avec Thomas Hirschhorn et Alexandre Costanzo
Thomas Hirschhorn est un artiste suisse dont le travail a été présenté dans de nombreux musées. Il déclare : « Je veux utiliser l’art comme un outil pour établir un contact avec l’autre – c’est une nécessité – et je suis convaincu que le seul contact possible avec l’autre se fait “d’égal à égal”. » C’est cette conviction qui le pousse à réaliser depuis la fin des années 1990 plus de soixante-dix œuvres dans l’espace public parmi lesquelles certaines sont consacrées à des philosophes : Michel Foucault, Gilles Deleuze, Antonio Gramsci, Baruch Spinoza… Au printemps 2026, il réalise une nouvelle exposition à Genève, Le Pavillon Simone Weil. Cette situation donne l’occasion de présenter les nécessités de sa démarche ainsi que sa rencontre avec l’œuvre de Simone Weil sous la forme d’un dialogue avec Alexandre Costanzo.
17h45-18h : discussion avec la salle
18h00-18h30 : présentation du dessin mural réalisé in situ par Éric Valette
18h30-19h30 : cocktail et clôture du colloque