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Alice Forge
Journée d'étude

MONDES DU KITSCH ET DES CLICHES

Les phénomènes du cliché et du kitsch semblent parents. Si tous deux sentent autant l’argot d’atelier 1, comme aurait dit Baudelaire, c’est qu’ils expriment les rapports naissants au XIXe siècle à la production industrialisée, au commerce et à la consommation de marchandises sérialisées, entre aliénation et fétichisme. Depuis, cliché(s) et kitsch interviennent dans la description de situations de banalisation, d’usure, d’exagération, caractérisées par un sentiment dérangeant de facticité et de contrefaçon. Cette familiarité de façade ne doit cependant pas masquer ce qui les distingue. Si le kitsch renvoie à un royaume du cœur 2, le cliché, lui, renvoie à un royaume de l’esprit. C’est notre intellect, notre cerveau qui est parasité par des clichés.

En outre, contrairement au kitsch, le cliché ne constitue pas une catégorie esthétique à part entière. La nature grammaticale de la notion et de son usage qui confond substantif et adjectif (« c’est un cliché », « c’est cliché ») en fait la chasse gardée des disciplines linguistiques et des sciences sociales. Celles-ci pensent exclusivement les clichés comme des objets, parasites des discours ou des mentalités, tandis que l’esthétique pourrait les envisager, à la manière du kitsch, comme qualité sensible d’une expérience, des images, de l’art et du jugement de goût, susceptibles à cet égard de distorsions à même de les sortir d’un régime réductionniste de reconnaissance.

Une double piste de travail est donc de repartir des intuitions du fondateur de la discipline, Baumgarten.

Premièrement, reprendre l’idée de l’esthétique comme science du sensible, à rebours du réductionnisme logico- mathématique des disciplines citées à l’instant, une science fondée sur la singularité des expériences, des œuvres d’art et orientée vers l’universalisation, prête à saisir une généralité qui n’annule ni la diversité ni la multiplicité.

Mais comment décrire une expérience proprement esthétique des clichés ? Quelles œuvres peuvent-elles être privilégiées ? En quoi le kitsch nous informe-t-il et jusqu’à quel point ? Deuxièmement, repartir de l’idée baumgartienne de l’art comme invention de mondes possibles, comme activité « hétérocosmique ». Y aurait-il une manière de faire monde avec ou par les clichés ? Si oui, de quel(s) monde(s) s’agit-il ? En quoi croisent-ils, complètent-ils ou se distinguent-t-ils des mondes du kitsch ?

Programme de la JE : ACTE JE Mondes Kitsch Clichés 08 Oct 22 - Programme.pdf

Invité.e.s : David Lapoujade (Paris I Panthéon-Sorbonne), Valérie Arrault (Montpellier III), Séverine Barthes (Sorbonne-Nouvelle), Karim Charredib (Rennes II), Sarah Troche (Lille).

Comité scientifique/d’organisation : Christophe Génin, Léo Pinguet.

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1Les deux mots naissent à la même époque, fin XIXe siècle, le premier en France, le second en Allemagne. Une hypothèse étymologique incertaine suggère qu’ils pourraient partager une origine onomatopéique : le bruit d’un mécanisme d’imprimerie (« klitsch ») dont l’un aurait retenu les cliquetis secs de l’appareil abattant la matrice (le cliché), l’autre la masse molle du métal fondu (le kitsch). Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, p. 777. 2Milan Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être [1982], trad. François Kérel, Paris, Gallimard, 1989.